Lettre de Maurice Émond

Avril 2021

Cher Michel,

Après plusieurs semaines d’attente, j’ai enfin reçu ton livre, « Sortie 182 pour Trois-Rivières ». Je l’ai lu d’une traite tant il me retenait. J’en reste profondément remué, encore sous le charme de tes propos, de ton style unique et original aux magnifiques longues phrases «en équilibre impondérable», dirait Saint-Denys-Garneau, phrases qui prennent aisément et comme naturellement leur envol, s’amplifiant harmonieusement sans jamais perdre le fil qui les porte jusqu’au point final. Comme une longue et profonde respiration. Ils sont peu nombreux ceux qui peuvent écrire avec une telle maîtrise. Ta culture est vaste, grand lecteur que tu es, grand mélomane aussi, ce qui donne du rythme et de la profondeur à tes propos.

Ce n’est pourtant pas la première fois que je te lis et j’ai déjà dans le passé vanté tes mérites, ne serait-ce qu’à la lecture de ta maîtrise, puis de ton doctorat que je qualifiais non seulement de remarquable mais d’une contribution unique à ton domaine de recherche et dont je recommandais la publication. Mais je découvre cette fois tout autre chose, un écrivain véritable, la voix d’un homme qui ose se livrer sans fard, qui dit vrai, qui trouve sa propre tonalité et son originalité avec une sensibilité exquise, une authenticité rare. Tes connaissances littéraires et autres auraient pu venir encombrer ton propos ou l’enjoliver en quelque sorte, faire montre d’érudition. Il n’en est rien. Bien au contraire, elles font partie de la fibre de ton écriture, en sont la sève même. Si tu sais reconnaître tes forces, tu ne masques guère tes faiblesses, tu ne te donnes pas «le beau rôle non plus». Se dégage alors un climat de vérité, d’intimité, de complicité. Tu es libéré des contraintes académiques ne gardant que la joie d’écrire ces retrouvailles avec les personnages et les événements de ta vie passée. J’ai lu avec émotion les magnifiques pages que tu as consacrées à ton père, à ta mère, au Colonel Parent, à tes amis, à Metz, à divers lieux de ton enfance…

Que de tragédies dans ta vie! Que de «disparitions, catastrophes et mille merveilles» aussi, comme le dit ton sous-titre. Oui, la vie peut être cruelle et belle. Enchantements et désenchantements se succèdent. Tu dis avoir perdu l’innocence et la foi de ton enfance, mais tu as gardé ton amour absolu de la Beauté, de l’Art, de la Musique, en un mot de la Vie, en particulier de la vie rêvée, « la vraie vie, la vie enfin vécue » comme le disait Proust. Voilà pourquoi tu te sens toujours jeune et « infiniment heureux » dans ton intimité.

En ce monde d’aujourd’hui « e potinages vulgaires, insignifiants, écervelants d’écervelés », ton livre est une bouffée d’espoir, une preuve d’humanité, un régal littéraire, l’oxygène nécessaire à la survie d’une espèce, les dinosaures d’aujourd’hui que nous sommes.

Merci, cher Michel, de nous offrir ce livre généreux, courageux, vrai, émouvant et qui, je l’espère sincèrement, ouvre la porte à plusieurs autres semblables (dont un roman sur les lettres de ta grand-mère)…

Je t’écris toutes ces choses comme elles viennent, avec reconnaissance et en toute mon amitié.

Maurice Émond
Québec, le 13 avril 2021